Pâques avant Pâques

Lettre du père Pierre-Marie Hombert

 

A vous tous amis chers, très chers, intimes ; à vous tous, avec lesquels les liens tissés (certains depuis près de 40 ans, d’autres tout récents) ont défini la substance même de ma vie. Certains des liens anciens se sont distendus par la force des choses (déménagements, mutations, changement de ministère) mais ils demeurent profonds et les événements que je vis manifestent justement que tout ce qui a été vécu d’authentique et dans la charité demeure et réapparaît. A vous tous, grâce et paix de la part du Seigneur Jésus !

J’adresse ce message à tous ceux qui se sont manifestés par un mail, un sms, etc… C’est un critère sans doute un peu injuste parce que d’innombrables personnes ont prié pour moi sans forcément se manifester. D’autre part, j’espère ne pas avoir pas perdu d’adresses mail. Gérer une messagerie quand les messages s’accumulaient et que j’étais en sédation profonde, puis au réveil dans les vapes est une chose difficile !

Certains d’entre vous n’ayant appris ce qui m’arrivait que tardivement ou partiellement, je crois bon de revenir à titre informatif sur les événements et leur chronologie et de vous dire aussi la situation dans laquelle je me trouve. Ensuite, et c’est le plus important, même si ce sera bref, j’essaierai de dire quelques propos plus spirituels, la manière dont j’essaie de vivre ce qui m’arrive et ce que chacun peut lui-même en tirer.

31 décembre : premiers symptômes, je me dis : je vais aller me faire dépister ; mais les jours dans lesquels cela se passe ne me sont pas favorables : le 1er janvier, tout est fermé, ainsi que le 2 janvier qui est un dimanche. Le 3 janvier il y a affluence dans tous les centres de dépistage ; je n’arrive à me faire dépister que le 3 janvier à midi, après 2h30 d’attente dans le froid, dehors, alors que j’étais fiévreux, et je n’aurai le résultat que 36 heures après. Entre-temps la situation s’est fortement aggravée et je n’avais pas d’autre solution que d’appeler le SAMU et d’intégrer rapidement le service des urgences et de réanimation du CH de Douai. Un premier scanner révèle une situation grave avec 75% des poumons fibrosés.

15 jours plus tard, le 19 janvier, la situation se dégrade, et les médecins décident d’opter pour l’intubation, avec mise en comas artificiel. Celle-ci est toujours un acte sévère, grave, risqué, dont les conséquences peuvent être irréversibles. J’ai appris tout cela par la suite, je m’en suis rendu compte après, quand je me suis réveillé ! Quand ils ont commencé à lever un peu la puissance de la sédation j’ai pu communiquer par écrit avec ma petite sœur Véronique qui venait me voir chaque jour, mais mes propos étaient confus et même délirants. En fait, j’étais au pays des Ombres, dans le Shéol profond. Après l’intubation, beaucoup ont pris peur, non sans raison. Certains ont alors élevé ver le Seigneur une prière vigoureuse et même révoltée : « Que fais-tu, Seigneur ? Tu n’as pas le droit de nous reprendre Pierre-Marie. À 68 ans, il peut encore servir ta Parole. Le reprendre serait du gâchis ». Bien sûr, nous n’avons pas de compte à demander à Dieu, mais Dieu aime aussi que nous « bataillions » avec lui et c’est alors qu’il nous écoute. Tout le livre de Job en témoigne.

Le 14 février j’étais extubé, et la trachéotomie évitée. C’est une fois bien réveillé que j’ai pris conscience de ce qui s’était passé et je n’avais dans mon cœur qu’une seule parole, le verset du psaume « le Seigneur m’a arraché aux griffes de la mort » ! J’étais bien conscient d’être passé par une porte étroite. Merci infiniment de votre prière assidue et de votre intercession : tout est gravé à jamais dans mon cœur. Je suis aussi particulièrement reconnaissant envers l’équipe des soignants du CH de Douai, l’équipe de l’aumônerie, Sr Nicole, et mon ami Bernard Descarpentries qui venait me voir si souvent, que je sois conscient ou non.

Quittant le service de réanimation, j’ai intégré le service mi réanimation, mi kiné thérapie au centre Hélio-Marin de Berck. J’y suis admirablement pris en charge. Les progrès sont réels. Concrètement, je n’ai aucune séquelle neurologique et j’ai toute ma tête avec ses facultés. Que Dieu soit béni ! En revanche, je réapprends petit à petit à marcher ; c’est vous dire que le délabrement physique est profond et qu’il me faudra quelques mois pour récupérer ma vie d’avant.

Actuellement je fais quatre fois 60 mètres avec un déambulateur et soutenu par la kiné, satisfaite de l’évolution et de mon état général. Je reste sous assistance d’oxygène mais de moins en moins, le taux de saturation est très bon quand je suis au repos dans mon fauteuil. Mais aussitôt que je fais un effort j’ai le souffle court, et la saturation baisse. Quand je serai soit sevré complétement de l’oxygène ou que j’aurai un peu plus de forces, je vais quitter ce service et intégrer un vrai centre de kiné-thérapie, sans doute plus proche de Douai. Voilà où j’en suis : la situation est globalement bonne, et justifie une grande action de grâce de ma part et de la vôtre !

Ma petite sœur Véronique, adorable, qui m’a tellement donné depuis 2 mois est encore à la manœuvre car je lui envoie des fichiers sonores et elle les transcrit. Une des choses qui me met dans l’impatience profonde c’est que je suis en fait incapable d’écrire aujourd’hui : j’ai mon ordinateur mais mes mains tremblent ; en plus j’ai des capuchons de caoutchouc au bout des doigts pour la surveillance permanente, donc je ne peux pas taper sur mon ordi ; quant au smartphone, je n’ai jamais été très habile et un tout petit écran est vraiment rédhibitoire pour moi !

J’ai une idée, mais une petite idée seulement, de la chaîne immense de prière qui s’est constituée pour moi : elle commence avec les miens, ma sœur, mon frère  Bernard, mes neveux et nièces ; elle va des sœurs Carmélites de Saint Saulve aux sœurs Melkites du monastère de l’Annonciation au Liban, en passant par les Servantes des pauvres de Denain ; cette chaîne intègre le séminaire de Paris, un séminaire aux Philippines et un autre encore au Pérou ; et elle intègre bien sûr, les dizaines et sans aucun doute les centaines d’amis et de fidèles de tous lieux qui ont crié vers le Seigneur pour moi. Que le Seigneur soit béni et loué à jamais ! Il vous a écoutés ! Et moi je reste sans voix mais non sans larmes devant votre foi et votre amitié profonde.

Si j’en viens maintenant à la signification spirituelle de tous ces événements, je suis ramené avec vous au mystère central de notre foi, le Mystère Pascal. Je le dis d’autant plus que ce que j’ai vécu a engagé concrètement la vie et la mort. Quand un événement important nous affecte, la seule question essentielle est celle-ci : que vais-je en faire ? quel sens lui donner ? quelle fécondité en tirer ? Cette fécondité ne peut venir que de la victoire de Jésus sur la mort. La question est donc pour moi de savoir comment tout ce qui m’arrive est une occasion d’intégrer plus profondément dans ma vie la mort et la résurrection de Jésus ; les intégrer pour en vivre, pour en faire la source de ma propre sanctification : que je devienne chaque jour plus attaché à Jésus, plus centré sur Lui, plus humble, plus abandonné à la Providence. Mais que cette sanctification personnelle, accrue comme je l’espère vivement – vous continuerez à prier en ce sens – soit pour vous, à votre profit, au profit de l’Église, de ce monde, des miens et de leurs propres chemins de foi. Bien sûr tout cela par l’offrande de ce que j’ai vécu et vis et par ma propre intercession pour tous.

Une phrase extraordinaire de Saint Paul m’habite constamment ces jours et résume tout : « Ainsi la mort fait son œuvre en moi et la vie en vous » (2 Co 4, 12). Il n’y a que cela à vivre pour un chrétien et j’ai déjà des signes évidents qu’il en est ainsi ! Que Jésus soit béni, car il fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment, même si moi-même l’aime encore bien pauvrement.

Nous allons entrer dans quelques jours dans le Carême dont c’est le sens profond : passer à la vie, une vie nouvelle en acceptant les diverses morts, petites ou grandes, qui nous frappent et en étant sûrs qu’elles seront par la puissance de Dieu et du Christ ressuscité source de grâces et de vie.

Voilà mes amis quelques pensées que je voulais vous partager.

En émergeant du pays des Ombres, j’ai vécu en quelque sorte Pâques avant Pâques. Mais ce n’est là qu’une étape, car notre vie toute entière consiste à passer de Pâques en Pâques jusqu’à celle qui nous fera entrer définitivement dans la Lumière Incréée.

Que le Seigneur vous bénisse ! Je prie sincèrement pour tous et pour chacun et attends de vous revoir. Quel bonheur ce sera !

 

Pierre-Marie

 

PS : Quelques-uns voudront peut-être répondre à ce message, mais je ne pourrai moi-même leur répondre, car, comme je vous l’ai dit, non seulement vous êtes très nombreux, mais écrire est quasi impossible. Je remercie une nouvelle fois Véronique d’être ici ma plume ou disons ma main ! A bientôt !

 

 

 

Article publié par Michel LAISNE • Publié le Samedi 26 février 2022 • 4018 visites

keyboard_arrow_up